Or, tout examen collectif d’une situation individuelle ou familiale suppose que soient préalablement
posées les conditions et modalités du partage de données personnelles ou d’informations à
caractère secret. En effet, l’obligation de confidentialité et le secret professionnel ne sont pas
solubles dans le partage d’informations en commissions ou instances. La loi n°78-17 relative à
l’informatique, aux fichiers et aux libertés du 6 janvier 1978 modifiée par la loi du 6 août 2004 a
délimité un cadre précis. Le dernier rapport du Conseil supérieur du travail social relatif au partage
d’informations en expose les bases, le cadre et les principes d’utilisation.
De plus, la vigilance de chaque participant aux instances (partenariales, institutionnelles ou
collégiales), fondée sur l’approbation de règles communes, permet de mieux respecter la vie
privée des personnes concernées, la confidentialité des données et des appréciations échangées
entre partenaires.
C’est pourquoi le CSTS a estimé nécessaire de rappeler les principes éthiques et professionnels
du travail social permettant de garantir l’égalité de traitement et la qualité des décisions, ainsi que
l’efficacité des dispositifs. Plusieurs expériences et des initiatives récentes ont nourri sa réflexion.
Le présent avis permettra aux différentes institutions responsables de la mise en place de
telles instances de s’en inspirer pour compléter (ou établir) des chartes de fonctionnement
(ou des règlements) adaptées à leur propre cadre, et pour faire évoluer leur usage dans une
démarche d’amélioration de la qualité du service rendu. Il permettra également aux
travailleurs sociaux de s’approprier des références parfois négligées même si la plupart des
principes sont souvent appliqués.
1. Finalité, composition, travail collectif de l’instance
- La finalité de l’instance/la commission doit être clairement définie par le rappel précis de la
loi qui la fonde, ainsi que de la mission ou du dispositif qui l’encadre.... . Le partage des
informations qui s’y fait est strictement orienté et limité en fonction de cette raison d’être et
pour aucune autre finalité ; l’usage des informations échangées s’arrêtant au terme de la
commission, ce qui a été utilisé en réunion est effacé ou détruit dès la fin de la commission
par chacun des participants : seul est retenu un relevé final de décision ou de proposition
(défini plus loin).
- Ce type d’instance rassemble des partenaires divers, ayant en général des statuts, des
fonctions et des qualification professionnelles différentes, dans le but d’utiliser leur
complémentarité (de savoirs et d’expériences) pour éclairer la prise de décision. Au-delà de
sa composition officielle (qu’il est souhaitable de mettre à jour régulièrement) une instance
rassemble des personnes et des compétences différentes qu’il est nécessaire de connaître
lors de chacune de ses réunions.
Elle est effectivement présidée par une personne ayant délégation pour le faire au jour de
la réunion, qui a pour fonction d’animer le débat selon les règles énoncées et de garantir la
production et la communication des décisions prises.
- L’étude des situations individuelles est faite collectivement :
Chacun des membres/partenaires, par les informations qu’il détient et du fait de ses
compétences professionnelles (et non de ses réactions personnelles), contribue à enrichir
l’évaluation de la situation individuelle qui est examinée, et à élaborer la décision la plus
pertinente. Le principe est de cumuler des expertises complémentaires et de créer
(ensemble et selon la finalité de l’instance) de nouvelles compétences
« transprofessionnelles » ; le rapport du Conseil supérieur du travail social relatif au
décloisonnement et à l’articulation du sanitaire et du social a montré l’intérêt de cette
démarche.
Au cours des échanges, il n’y a pas de prééminence entre les points de vue exprimés
(quelle que soit la surface sociale de chacun) et les appréciations portées par chaque
membre/partenaire (qu’il soit élu, cadre administratif ou technique, expert ou intervenant,
ayant compétence sociale, sanitaire, administrative, juridique...) sauf s’il y a eu un(e)
évaluation/diagnostic, qui distingue le point de vue du partenaire ayant fait ce travail
préalable, de ceux des autres membres de l’instance qui ne l’ont pas fait.
Si celui-ci est présent, il est entendu en premier (rapport) et en dernier (pour dégager une
évaluation globale esquissant la décision) au cours de l’étude collective.
- L’étude de chaque situation individuelle est faite sur la base d’un rapport :
Le « rapport » résultant d’une instruction approfondie de la situation et d’une approche
globale est présenté autant que possible par le professionnel (ou autre personne habilitée)
qui a instruit la demande et évalué/diagnostiqué la situation.
Le « rapport » de l’évaluation/diagnostic expose les informations nécessaires (suivant le
principe de proportionnalité) au travail de la commission et motive sa conclusion, quelle
qu’elle soit, afin que l’instance puisse se prononcer de façon éclairée. Ceci exige que les
éléments nécessaires soient apportés et que la conclusion du « rapport » constitue une
contribution bien fondée à la décision de l’instance, qui reste collective.
2. Prise en compte des personnes dont la situation est examinée
Information préalable
Tous les usagers (ou leur représentant légal) doivent être informés au préalable. Ceci
signifie qu’ils sont tenus au courant de l’examen de leur situation par l’instance/la
commission et de leur droit de la refuser. A cela s’ajoute l’obligation de les informer de leur
possibilité d’accéder aux informations les concernant et d’exercer leur droit de rectification
sur leurs données personnelles. Cette obligation est juridique (lois de 1978, 2002, 2007...)
et éthique (l’usager est d’abord un sujet qui a une demande et avec lequel est engagé une
relation d’aide).
Les dérogations à ce principe d’information préalable doivent être justifiées au nom de
l’intérêt de l’usager, tel que des risques graves pour des personnes vulnérables. Les
raisons qui ont présidé à l’absence d’information préalable sont rappelées dans le compterendu
de situation.
Le président (et les membres de l’instance) s’assurent que l’information a bien été faite
avant l’examen des situations individuelles et que les finalités de l’instance ont été
expliquées.
Etude globale de la situation de la personne
La demande (dossier ou situation) examinée en instance/commission est traitée en prenant
en compte la personne concernée de façon globale.
En effet, dans le champ du travail social, la personne doit être considérée non seulement
dans son existence propre, mais aussi comme liée à un groupe familial ou autre, et comme
membre de la société humaine dans un environnement particulier. Sa situation doit être
examinée dans ces 3 dimensions.
Le traitement de toute demande doit être fait avec équité, c’est-à-dire avec la souplesse
consistant à prendre en compte les circonstances présentes, ainsi que les causes résultant
du passé, et les conséquences sur l’avenir de la personne, plutôt que par application rigide
d’une règle ou la soumission à des critères statistiques.
Transmission de la décision
La décision prise par l’instance/la commission est transmise rapidement aux personnes
concernée, avec les précautions éventuellement nécessaires pour ces usagers, et dans un
langage explicite pour leur compréhension.
L’organisateur de la commission doit non seulement prévoir les modalités d’informations
(écrites ou orales) des usagers, mais aussi diligenter l’accompagnement éventuellement
nécessaire à l’application de la décision prise.
Le président de séance s’assure que ces modalités seront mises en oeuvre pour chaque
personne dont la situation a été traitée.
3. Respect de la vie privée
Obligations relatives à la vie privée
Le respect de l’intimité et de la liberté des personnes est une volonté et une responsabilité
éthique ainsi qu’une obligation juridique.
Il est rappelé que la protection de la vie privée de la personne s’accompagne d’une
obligation au secret professionnel qui s’impose à tout fonctionnaire et à toute personne
participant à des missions de service public (article 26 de la loi du 13 juillet 1983). Les
membres sont tenus par le secret professionnel, le secret médical, le devoir de réserve et
l’obligation de discrétion inhérents à leurs professions respectives.
De plus, la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est
dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission
temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende ». (Article 226-
13 du code pénal).
Le respect de la vie privée ne s’oppose pas au partage des informations nécessaire à la
continuité et au bon exercice du travail social ; cette pratique est fréquente, y compris, dans
certaines circonstances, pour les informations à caractère secret, même s’il subsiste
toujours une responsabilité du détenteur du secret d’apprécier s’il convient ou non de le
révéler (voir le rapport du CSTS sur le partage d’informations).
Anonymat
Pour garantir l’égalité de traitement dans l’étude collective des situations individuelles par
des instances/commissions, l’anonymat est la règle ; les dérogations doivent être justifiées,
même si elles sont fréquentes dans certaines instances. L’anonymat permet par exemple
de protéger la suite du parcours de demandeurs lorsque des commissions rassemblent des
créanciers et des bailleurs autour d’un dossier.
En effet, le rapport anonymisé fournit à tous les membres de l’instance partenariale les
éléments précis qui sont nécessaires au débat collectif et à la décision commune ; il évite
que chaque partenaire dépende de ses propres informations ou représentations. Il
n’allonge pas le temps de travail dans la mesure où chacun des participants/partenaires
directement impliqués dans la situation est informé du numéro de dossier attribué aux
situations qu’il a à connaître au titre de son action.
Le traitement anonyme des situations change certaines habitudes et montre rapidement
des avantages tels que l’élimination du risque de clientélisme de la part de représentants
d’un territoire ou d’un groupe social/associatif, et que l’aisance des participants,
débarrassés du risque d’être encombrés par les échos de réputations ou de relations...
L’anonymat permet de réduire le risque de discriminations et d’assurer un traitement
techniquement plus poussé et plus équitable.
Néanmoins, le partage de données personnelles et le partage d’’informations à caractère
secret peuvent être nécessaires dans certains cas, justifiés explicitement. Il en est ainsi des
commissions où la levée d’anonymat est nécessaire pour l’élaboration d’un projet d’action
commun et pour l’aboutissement à une décision commune.
Leur traitement nécessite alors que seuls les membres de l’instance/la commission
directement concernés par la situation examinée participent à l’étude collective et au
partage des données personnelles : pendant les temps où il est souhaitable que les débats
soient tenus nominativement, notamment entre divers intervenants de mêmes professions
ayant à coordonner leur action, le président de séance lève le principe de l’anonymat.
Engagement individuel
Les participants effectifs à la réunion sont personnellement soumis aux règles de
fonctionnement des instances/commissions, même s’ils représentent une institution ou une
autre personne. Ils s’engagent à respecter la vie privée des usagers dont ils ont à connaitre
la situation individuelle et sont garants du respect de la déontologie des professionnels qui
ont un code à ce propos.
Ils formalisent leur engagement à respecter les principes/règles énoncés par la signature, à
chaque réunion de l’instance, d’une fiche de présence qui stipule leur adhésion à la
présente charte/règlement.
Chaque institution représentée dans l’instance s’engage à respecter les règles de cette
instance et autorise son représentant à s’y soumettre.
Tout manquement grave aux dispositions de la présente charte/règlement entraine
l’exclusion de l’instance, en sus des conséquences juridiques.
4. Modalités de fonctionnement
Présidence de la séance
Une personne déléguée à cette fonction assure le bon déroulement de la réunion. A
l’ouverture de la réunion, elle vérifie la légitimité/qualité des présents pour le traitement des
situations examinées et les habilitations pour l’accès aux données et le partage
d’informations personnelles ; elle invite chaque partenaire à se présenter nominativement,
à décliner ses statut, fonction et qualification ou compétence, et à signer la feuille de
présence valant adhésion à la charte/le règlement de fonctionnement. Elle veille à ce que
les échanges se limitent à ce qui est strictement nécessaire à l’objet de
l’instance/commission.
Déroulement de l’échange et du travail collectif
Lors de l’examen des situations, les partenaires s’engagent à examiner objectivement la
situation et à rechercher particulièrement les capacités des personnes, les points positifs
de la situation et les leviers utiles au traitement de la demande.
Chacun s’engage à ne transmettre que les informations strictement nécessaires à la
compréhension de la situation, en excluant les informations aléatoires et non vérifiées.
L’analyse des situations doit demeurer dénuée de tout commentaire personnel ou jugement
de valeur.
La parole de chaque partenaire doit être entendue dans sa singularité, puisque d’un point
de vue éthique, il n’existe pas « une » mais « des » vérités.
Les situations individuelles sont examinées entre les différents membres, chacun en ce qui
concerne son champ de compétence afin de poser collectivement finalement un diagnostic
et, finalement, de prendre une décision ou de proposer un plan d’action adapté.
Chacun des professionnels reconnaît et respecte les obligations professionnelles de ses
collègues/partenaires, notamment ceux tenus au secret professionnel.
Chacun est tenu à la plus stricte confidentialité en ce qui concerne les éléments échangés
lors de l’instance/la commission. Cette confidentialité concerne l’identité des personnes, les
sources d’information, le contenu de l’information, notamment les données de santé et les
appréciations socio-économiques portées sur les personnes dont la situation fait l’objet
d’un examen.
Conclusion
A la fin de l’étude collective de chaque situation, le président de séance s’assure de la prise
de décision en ayant préalablement rappelé le mode de décision : vote, consensus,
décision d’une autorité ...
Un relevé de décision est fait. Le moyen de notifier la décision à l’usager concerné et de lui
faire connaître les modalités de recours existantes est précisément défini ainsi que
l’accompagnement éventuel de la décision.
La destruction ou le mode de conservation des données employées sont définis.
5. Supports informatisés, utilisation et conservation du travail collectif
Travail sur support informatisé :
En cas de travail sur écran et d’utilisation de supports informatisés par les membres de
l’instance/la commission, les habilitations de chaque participant (pour l’accès aux données
et dossiers) sont vérifiées avant chaque séance en fonction des situations à examiner, et
les connexions sont établies en fonction de chacun des postes occupés. En effet le travail
d’une telle instance n’autorise aucunement l’interconnexion temporaire de fichiers ni l’accès
indistinct pour une lecture intégrale (avec une habilitation administrateur-réseau pour
l’ensemble des postes, par exemple).
Seul le président (ou la personne habilitée et désignée à cet effet) intègre la décision prise
au(x) dossier(s) de la personne concernée et vérifie sa diffusion par les systèmes
d’information aux destinataires concernés.
Traces des débats et utilisation des décisions prises
Les écrits conservés à l’issue de la réunion ne doivent pas (sauf dérogation justifiée)
rapporter la totalité des propos échangés mais sont effectués sous la forme d’une décision
prise. Lorsque la nécessité de conserver la diversité des propositions étudiées, les
divergences d’appréciation ou le déroulement du débat a été justifiée, ceci est fait sous
une forme synthétique.
La décision individuelle (ou proposition) prise en conclusion de chaque étude collective est
accompagnée d’une formule rappelant les modalités de sa diffusion et l’obligation de
confidentialité de ceux qui ont à en connaitre.
Le principe étant que toute décision (ou proposition) doit être motivée, les décisions
accompagnées par des « considérant que... » peuvent contribuer à une doctrine. Dans ce
but, des relevés de décisions classés par motifs ou autres critères peuvent utilement créer
une doctrine ; ils sont établis de façon anonyme.
Conservation des documents rendant compte de la réunion
Les supports écrits/fiches de présentation des situations individuelles sont détruits à l’issue
de la présentation faite lors de l’instance/la commission. En cas de nécessité de conserver
de tels documents, l’organisateur de l’instance devra préalablement consulter les instances
réglementaires (CNIL ou CIL...) et instances éthiques de référence (CSTS, CNRD, comité
d’éthique départemental, organisation professionnelle...).
Le relevé de décisions constituant le compte-rendu de réunion et comportant les
motivations de décisions est confidentiel et conservé avec les précautions nécessaires par
le président de séance ; sa diffusion est la plus restreinte possible.