Alors que dans de très nombreux pays, la formation supérieure à la recherche existe pour le travail social et se prolonge par un doctorat, en France, ce n’est toujours pas le cas. Les formations supérieures du travail social sont professionnelles (CAFERUIS, DEIS, CAFDES) et dans l’enseignement supérieur, les masters de recherche menant à un doctorat relèvent des disciplines académiques. La création de la chaire Travail social au CNAM, en 2001, va permettre une première ouverture. Par son habilitation en 2002 à délivrer un DEA de recherche - devenu master de recherche -, intitulé « Travail social, action sociale et société », elle entrouvre la porte officielle aux recherches propres au secteur social, et bien que celles-ci soient actuellement rattachées à la discipline de sociologie, c’est une avancée certaine et concrète. Le master de recherche « Travail social, action sociale et société » a pour objectif de former à la recherche par la recherche, en développant des recherches propres au secteur social.
Un regard réflexif portant sur les mémoires de recherche réalisés est donc intéressant. Les travaux répondent-ils à des exigences particulières d’approches, de méthodes ? Le champ est-il circonscrit à une discipline ou est-il transversal aux disciplines ? Comment s’articule la dualité qui fonde recherches/savoirs professionnels ? Sur quelles thématiques portent les travaux de recherche ?
ANALYSE GÉNÉRALE DES SUJETS DE MÉMOIRE DE RECHERCHE
Tous les sujets de mémoire s’expliquent en partie par la conception de la recherche sociale pour laquelle ce DEA devenu master de recherche s’est créé, et par son adoption de la définition suivante : « La recherche sociale correspond à la nécessité d’arrimer l’instrumentation scientifique à celle de l’intervention socio-politique de manière à conjuguer les efforts pour exercer une oeuvre de régulation sociale volontaire indispensable dans toute société organisée » (Le François, Québec). La recherche sociale a donc pour objectif d’articuler la connaissance des transformations de la société et des problèmes sociaux des populations, l’analyse et l’évaluation des politiques publiques, l’analyse des pratiques du travail social et enfin les transformations du travail social et de ses relations avec les autres formes d’intervention sociale.
De ce fait, la recherche sociale qui comme toute recherche vient parler critique et rupture à partir de décontextualisation et recontextualisation, allie la connaissance au souci de la transformation de la société. C’est pourquoi, dans les mémoires de recherche effectués, on n’observe pas de dichotomie étanche entre visée scientifique et valeurs/ fins. Une enseignante avait noté dans les toutes premières années de ce master de recherche, « le goût de la posture beaucoup plus philosophique ou spéculative qu’empirique », ce qui s’est équilibré par la suite.
Bien qu’inscrit en sociologie, cela explique également un certain recours à l’interdisciplinarité. Afin de cerner la complexité de leur sujet, rien n’étant mono-causal, la plupart des mémoires croisent différents concepts appartenant à la science politique, à la sociologie, à la psychologie, à la philosophie, et recourent aux confins des disciplines, telles que les sciences de l’éducation, le droit, l’histoire, voire la linguistique... Un très petit nombre de mémoires s’inscrivent dans un modèle construit au sein d’un seul courant théorique précis [1]. Cette ouverture à plusieurs concepts et disciplines rejoint en partie le rapport de l’IGAS [2] indiquant que « l’intervention sociale apparaît comme un modèle multiréférencé qui ne peut être assimilé à une discipline particulière ». Dans la préface du livre La face cachée de la sociologie. À la découverte des sociologues-praticien [3], Claude Dubar rappelle que ceux-ci ne séparent pas la connaissance empiriquement fondée et les enseignements que l’on peut en tirer, qu’ils font le lien entre recherche et action et il regrette que cela ne soit pas mieux connu et reconnu. Odile Piriou, auteur de cet ouvrage, évoque l’acquisition d’une double capacité d’analyse critique et d’observation compréhensives et interprétatives, avec une capacité de déplacement pour un enrichissement de l’intervention. Enfin, comme l’analysent Marc Bessin, Claire Bidart et Michel Grossetti [4], les sciences sociales sont gênées face à l’imprévisibilité, la contingence et l’événement, bien présents, par leur fréquence et par leurs effets, au sein des réalités qu’elles étudient. Notons que c’est encore plus fortement ressenti par les travailleurs sociaux pour les travaux de recherche...
La très grande majorité des cent mémoires étudiés lie étroitement tous ces aspects, mais pour permettre une analyse, plusieurs formes d’observation ont été faites, dont l’entrée thématique principale et l’analyse.
La suite de cet article en document joint...
L’Entrée thématique générale principale se répartit comme suit :
Regards sur la population
Place et considération des jeunes
Les personnes handicapées, sens d’une autre approche
Autres types de populations et réponses sociales difficiles et tendues
Les nouvelles priorités des politiques publiques
L’évaluation à l’épreuve de sa complexité
Travail/insertion, un principe inconditionnel ?
Politique du logement et d’hébergement, grandes difficultés d’application...
Politique de la ville et travail social : des rapports toujours aussi ambivalents
Droit/aide sociale : quelle cohérence actuelle ?
Action sociale, travail social, pratiques sociales en mouvement
Pratiques professionnelles bousculées
Institutions en pleins changements
Soutien des professionnalités pour l’appropriation de nouvelles dynamiques
La dimension politique du travail social à positionner
POUR CONCLURE, INTÉRÊTS ET DIFFICULTÉS