Les négligences ne sont pas prises en compte par le droit, notamment pénal, quand elles ne conduisent pas à la réalisation d’un dommage avéré sur la personne de l’aîné (e) ou sur les biens lui appartenant. Mais de telles négligences, pour être concrètement nombreuses, permanentes et variées, soulèvent davantage la question de l’indifférence sociale généralisée aux questions de la vieillesse que celles de l’effectivité et de l’efficacité du droit.
Négliger implique que l’on s’abstienne d’agir. Et cette abstention est constitutive de mauvais traitement. Deux grandes séries de négligences sont commentées par la doctrine. Les négligences actives consistent à s’abstenir d’agir intentionnellement, à ne pas répondre sciemment aux besoins de l’aîné (e), malgré une connaissance certaine de ceux-ci : privation de nourriture, de biens matériels, de toute vie sensitive, affective et sociale par confinement de l’aîné (e). Les négligences passives proviennent de l’absence de sensibilisation et de compréhension de l’aîné (e), l’auteur s’abstenant d’agir par seule ignorance de ses besoins : oublis divers (de la toilette, des barrières, manque d’entretien des lieux de vie), manquement aux obligations générales d’hygiène et de sécurité.
Le constat statistique des faits de négligence est alarmant. Si les séries statistiques traditionnelles sont quasiment muettes sur la question, les enquêtes de victimisation révèlent la fréquence des mauvais traitements à l’endroit des aîné (e) s : de 4 à 15 % de la population des plus de 60 ans. Et les négligences se situent en bonne place : 16 à 24 % de l’ensemble (dont un cas sur deux en institution).
La jurisprudence portant sur les mauvais traitements à personnes âgées en général est exceptionnellement pauvre. La consultation des banques de données juridiques conduit à remarquer que les poursuites sont extrêmement rares, au pénal comme au civil. Les raisons d’un tel décalage avec la réalité du phénomène sont multiples. La preuve judiciaire de ces négligences est rendue particulièrement délicate par la difficile distinction entre les conséquences d’une victimisation probable et les caractéristiques psychogériatriques néfastes du vieillissement : c’est là toute la finesse du diagnostic différentiel. Le refus de signalement peut également provenir de l’aîné victimisé lui-même (par honte ou peur de représailles), des membres de la famille (crainte de voir l’un des leurs poursuivis pénalement), des institutions au sein desquelles des personnels se livrent à de telles pratiques inacceptables, des collègues de travail, des professionnels intervenant à domicile.
Si c’est généralement la victime de l’infraction (ou ses proches) qui saisit les autorités compétentes, une telle démarche est donc plus problématique dans le contexte des négligences à l’égard des aîné (e) s. La stratégie la plus adaptée devrait par conséquent consister en un signalement à la hiérarchie institutionnelle, aux administrations de tutelle et/ou aux autorités judiciaires, de la part de ceux qui côtoient la personne âgée victime. Relativement aux professionnels de l’action sanitaire et sociale, observateurs privilégiés des situations de maltraitance au préjudice des aîné (e) s, le respect du secret professionnel est souvent avancé comme obstacle à un tel signalement. Rien n’est moins vrai pour toute une série de raisons. La première conduit à souligner que tous ces personnels ne sont pas soumis, précisément, au secret quand bien même il est aujourd’hui devenu missionnel. La seconde provient de la permission de la loi qui, au même titre que la victime, peut délier le dépositaire en lui offrant, à certaines conditions, des garanties contre toutes velléités de représailles (V. art. 226-14 C. pén. ; L. 313-24 C. action soc. et fam.). La troisième est encore plus explicite puisque la loi punit le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, mauvais traitements ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge... de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives (art. 434-3 C.P.). Et la dernière raison, essentielle, permet de dépasser toute difficulté éventuelle dans l’appréciation de ce dilemme signalement/secret : c’est l’obligation, pour tout citoyen, de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il peut lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours (art. 223-6 al. 2 C.P.). Dans le secteur public, la réalité est encore plus simple : tout fonctionnaire à l’obligation d’aviser le procureur de la connaissance d’un crime ou d’un délit (art. 40 al. 2 C.P.P.). Et personne ne peut échapper à ce devoir d’humanité et de solidarité-là ... sauf à se réfugier derrière un frileux respect du secret, abandonnant la victime - dont la vulnérabilité justifie l’existence même de la profession exercée - à son/ses victimiseur (s),... sauf à bénéficier parfois d’une immunité familiale fortement discutable en cette matière.