Victor Girard s’est éteint le 4 février, à quatre-vingt-quinze ans. Il avait largement contribué à faire émerger la prévention spécialisée. Engagé à gauche, il plaida toute sa vie pour un humanisme éclairé, jamais bêlant.
Fin 2008, il était venu, avec d’autres du conservatoire national des archives et de l’histoire de l’éducation spécialisée (Cnahés), saluer la disparition d’un autre grand ancien, Roland Assathiany (LS n° 901). On l’avait vu il y a quelques mois encore poser d’insolentes questions dans tel ou tel colloque. Dans cinq ans, il en aurait eu cent. Né en 1917, ses origines modestes ne l’empêchèrent pas de démarrer des études de médecine : à vingt-deux ans, Victor Girard est reçu au concours de l’École des services de santé militaire de Lyon. Maquisard, il créera, à la fin de la guerre 1939-1945 un « clan Arc-en-ciel » pour s’occuper d’enfance inadaptée. Sa thèse de médecine sera consacrée d’ailleurs aux tests de niveau mental des jeunes irréguliers. Devenu médecin militaire, il travaille, dans la foulée de la toute jeune ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante avec deux établissements de l’Éducation surveillée (ancêtre de la protection judiciaire de la jeunesse). En 1960, spécialisé désormais en psychiatrie, il décrochera l’agrégation. Sollicité en 1962 par le haut-commissaire à la Jeunesse et aux Sports, Maurice Herzog, pour lancer un Comité national des associations et clubs de prévention, il peut être considéré comme un des pionniers de cette nouvelle pratique éducative, essaimant dans les quartiers en direction des jeunes en voie de marginalisation. Devenu spécialiste en la matière, il sera actif au sein du Centre technique national d’études et de recherche sur le handicap et l’inadaptation (Ctnerhi) et siégera au Comité technique de la prévention spécialisée (CTPS). En 1988, paraît, sous sa signature et celle de Jean-Marie Petitclerc, Cette prévention dite spécialisée [1].
Engagé auprès du Parti socialiste, il avait, à quatre-vingt-dix ans, participé activement à la campagne des élections municipales de 2008. Après son décès le 4 février, la ville de Louveciennes (Yvelines) rend hommage à son humanisme : « Jusqu’à la fin de sa vie, il aura défendu et soutenu les plus faibles. Salut Victor ! » Dans un texte rédigé en 2003 et mis en ligne, appuyé sur des fragments de correspondance entre Sigmund Freud et Einstein et intitulé Réflexions sur un futur antérieur, Victor Girard aborde la question politique. Il y définit l’injustice sociale comme « le lot quotidien des plus vulnérables, enfants, personnes handicapées, personnes souffrantes des difficultés adaptatives à une situation sans cesse mouvante, personnes âgées ». Il plaide ardemment pour un « humanisme laïc qui assure le respect » de l’homme et pour une « éthique sociale collective ». Il défend cet aphorisme : « Il n’y a pas d’économie de marché sans économie d’existence des personnes-sujets qui en assurent le profit ».
Dans le fonds du Cnahés qui porte son nom, on trouvera onze mètres linéaires – soit 305 unités documentaires – « librement communicables », avec plusieurs items, dont ceux-ci : scoutisme/carrière médicale/participation aux organismes de prévention spécialisée/participation au Centre national d’étude technique sur l’adolescence inadaptée, au Ctnerhi et à la Sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence…
Bon, te voilà ailleurs, Victor. Merci de ce que tu nous as apporté.